« Second Life » : un nouveau territoire pour l’enseignement ?
Depuis quelques mois, vous n’avez pas pu y échapper : « Second Life » est dans la bouche (ou sous la plume) de tous les journalistes, que ce soit dans le cadre de la campagne électorale pour décrire les attaques contre la « maison » du Front National ou dans celui de la presse « people » qui imagine la vie des stars dans cet univers, chacun y va de son couplet. Alors pourquoi un nouvel article sur ce sujet ? Et surtout pourquoi dans un média dédié à la pédagogie ?
Vous le découvrirez en lisant les lignes qui suivent et, à défaut d’être convaincu par la pertinence éducative de l’outil, vous aurez au moins fait connaissance avec ce monde virtuel dans lequel nos élèves passent de plus en plus de temps...
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Imaginez : vous vous promenez en marchant, en courant ou en volant, vous visitez des bâtiments et des jardins, vous admirez des galeries d’art, vous assistez à un concert où vous pouvez échanger avec vos voisins sur la qualité de la musique, vous participez à un concours de danse, vous pouvez aussi acheter, imaginer, débattre, jouer, bâtir, conduire un véhicule, participer à un cours interactif, vous téléporter d’un lieu à un autre, etc. Vous êtes dans « Second Life ».
Voici mon « Avatar » dans SL (Second Life). Je m’appelle « SLdaniel Cortes » par référence au grand explorateur !
Oui ... je sais ... la silhouette est avantageuse, mais dans SL, tout le monde est jeune et beau.
J’ai acheté le Jean, la chemise hawaïenne et la montre pour 250 L$ (Linden-Dollar), monnaie locale que l’on peut acquérir au moyen d’une carte bancaire : l’achat de 2000 L$ m’a été facturé environ 6 €. Le cours du L$ fluctue en fonction de l’offre et de la demande, comme une monnaie réelle.
Nouveau temple de la consommation virtuelle ? Nouvel Eldorado pour la pornographie et les jeux d’argent ? Nouveau délire schizophrénique d’une jeunesse en mal de paradis artificiels ? C’est l’image que la presse écrite française renvoie de ce nouveau monde et c’est en partie exact, mais pendant que nous lançons nos anathèmes bien-pensants, le monde éducatif anglo-saxon investit massivement ces nouveaux territoires et commence à en explorer les potentialités.
Face au bâtiment de la « Nova Southern University », l’un des nombreux lieux créés par des universités américaines.
On trouve de tout dans SL, mais beaucoup de projets sont encore « under construction », comme aux premiers temps de l’Internet. Les terrains sont à vendre ou à louer, de même que les bâtiments que l’on peut construire soi-même, de nombreuses agences immobilières sont présentes.
A ce jour, selon le site SL Educating (http://www.sleducating.com/), 101 organisations et institutions éducatives sont présentes dans SL et y proposent contenus et activités pédagogiques. On trouve aussi bien des grandes universités (Harvard, New York University, Texas State University ...) que des organismes plus spécialisés (Nanyang Polytechnic (Singapour), Art Institute of California, Australian Film TV and Radio School...).
La géographie de ces organismes montre une très nette prépondérance des anglo-saxons mais on trouve aussi des Danois, des Finlandais, des Australiens, des Sud-Africains ...
L’école de la « Seconde chance » version SL. Les cours sont diffusés à heure fixe sous forme audio ou vidéo. Selon les cas, on peut ensuite questionner le professeur sous forme de « Chat ». C’est également par ce moyen que l’on peut dialoguer avec tous les résidents. La société Linden Lab annonce pour très bientôt la possibilité d’échanger par la voix en temps réel, avec une technologie voisine de Skype.
La liste de discussion anglophone « SLED » dédiée aux actions et aux acteurs éducatifs présents dans SL, avec ses trente à quarante messages par jour, donne une bonne idée de l’ébullition actuelle autour de l’utilisation pédagogique des univers 3D en ligne. On peut s’y inscrire sur les pages du site de Linden Lab consacrées à l’éducation :
(http://secondlife.com/businesseducation/education.php)
« Second Life provides an opportunity to use simulation in a safe environment to enhance experiential learning, allowing individuals to practice skills, try new ideas, and learn from their mistakes. The ability to prepare for similar real-world experiences by using Second Life as a simulation has unlimited potential ».
En vol plané au-dessus du campus de l’Université de Houston, on aperçoit l’écran vidéo de l’amphithéâtre à gauche de l’image.
La marche à pied étant parfois fastidieuse, on peut prendre son envol ou, plus directement, se téléporter d’un lieu à un autre en indiquant sa géo-localisation à l’aide trois informations : un nom de région suivi de trois nombres correspondant à latitude, longitude et altitude.
De simple jeu de rôle lors de son lancement, « Second Life » est devenu un phénomène de société, un nouveau monde avec six millions d’inscrits (à la date de cet article) dont 1,7 million lors de ces deux derniers mois, ce qui donne une bonne idée du taux de croissance actuel de la fréquentation. Indicateur significatif de l’importance de ce territoire et des populations qui le fréquentent, les grands candidats à l’élection présidentielle y ont tous investi dans des locaux somptueux : l’île Sarkozy, l’immeuble Le Pen, le carrefour Bayrou, les locaux Royal ou le jardin Voynet ont rivalisé de créativité pour attirer le chaland.
Devant l’entrée du QG de Dominique Voynet où un petit malin a déposé un bidon radioactif. La guerre politique fait rage dans SL...
Transposition logique de la grande tradition missionnaire chrétienne dans les nouveaux territoires, toutes les Eglises sont présentes ... mais il y a visiblement moins de monde que dans les discothèques.
Ce territoire est avant tout marchand : si l’entrée est gratuite (selon le monde d’abonnement choisi) – comme dans un gigantesque centre commercial – tout le reste s’achète : un vêtement pour habiller votre « avatar », une place pour assister à un match de hockey ou un spectacle de strip-tease. La pornographie y tient une place de choix, mais du cinéma « X » à l’Internet « pédophile » en passant par le Minitel « Rose », c’est une permanence de l’histoire des médias naissants, et il est fort probable que, juste après la Bible, Gutenberg a dû imprimer un livre « de charme » pour amortir ses investissements. Cette pornographie est d’ailleurs toujours omniprésente sur Internet, ce qui ne nous empêche pas d’envoyer régulièrement nos élèves y effectuer des recherches.
L’une des activités principales des habitants de SL consiste à faire du shopping, pour habiller ou équiper son avatar (ici dans une bijouterie) ou pour décorer ou meubler sa maison.
Je viens d’acheter le maillot de l’équipe de France 80 L$, une promo à l’occasion du match France-Autriche.
Casinos et discothèques pullulent également dans SL. Sexe, boîtes de nuit et argent : de quoi renforcer l’image d’un Las Vegas virtuel qui contribue largement à l’attractivité du lieu pour nos élèves. Linden Lab, sans doute sous la pression des ligues moralistes américaines, gère également une version « jeune » de son monde virtuel (http://teen.secondlife.com/) vers lequel tout inscrit déclarant être âgé de moins de 18 ans est automatiquement dirigé. Ce « teen-SL » ne contient aucun lieu « pour adulte », ce qui contribue sans doute grandement à sa désaffection, nos adolescents ayant vite compris que les choses « intéressantes » se situent dans le monde des grands, et se créent un nouvel « avatar » âgé de quelques années de plus.
Petit moment de détente dans une discothèque.
Comme dans le monde réel, c’est l’un des lieux de rencontres les plus prisés des adolescents, et le terrain de chasse des prostitué(e)s.
Mais le phénomène est tout de même limité : je n’ai été « racolé » qu’une seule fois au cours de mes explorations
On retrouve en fait dans SL toutes les fonctions de l’Internet classique : l’information multimédia (textes, images, sons, vidéos), les liens cliquables (téléportations automatiques), le plan du site (survol 3D), la recherche par mots clés, la communication directe (« Chat ») ou la possibilité d’élaborer son site (une maison). La nouveauté réside dans l’interface 3D et surtout dans la possibilité de rencontrer et d’échanger avec toutes les personnes qui fréquentent le même lieu que vous au même moment.
En visite dans une galerie, je croise Bellinda, artiste pop-art vivant à Paris et qui est en train de terminer la mise en place de son exposition. Je lui explique que je suis en train de rédiger un article sur SL, elle m’autorise à prendre quelques clichés et m’invite pour le vernissage qui aura lieu dans deux jours.
Toujours dans la galerie de Bellinda.
Elle m’explique que pour elle, une exposition virtuelle est nettement plus facile (et moins onéreuse) à mettre en place qu’une exposition réelle. Elle pourra aussi vendre ses tableaux et reconvertir ses L$ en Euros.
Des passerelles existent entre SL et le Web. Un lieu SL peut, si vous activez une commande, lancer votre navigateur vers un site web. (Dans SL, les commandes s’activent en les désignant de la main). Inversement, un site web peut automatiquement lancer SL (si le logiciel est installé sur la machine locale) vers un lieu spécifique. Le site SLURL donne toutes les informations techniques sur ce point (http://slurl.com/). Les échanges monétaires se font également dans les deux sens (L$/€), à condition d’opter pour un abonnement payant (environ 60 € par an) qui seul, permet également d’effectuer des opérations foncières ou immobilières.
En visite au Musée de l’Holocaust.
Chaque propriétaire de maison ou de terrain fixe les lois qui régissent le lieu : langue usuelle, interdiction d’introduire des armes, de la nudité, du racolage, etc.
Quand un lieu nous séduit, il y a toujours un tronc virtuel pour laisser quelques L$ afin de soutenir le propriétaire.
Le monde de SL vit 24 heures sur 24 : la fonction « recherche » donne accès à un agenda détaillé des événements qui s’y déroulent heure par heure : promotions commerciales, événements sportifs, concerts, débats, jeux, animations diverses et permet de s’y téléporter directement. On peut aussi rechercher des petites annonces, des lieux, des terrains à vendre, des personnes ou des groupes.
Café philo au Stone Globe Café.
Le thème du jour : les interactions SL/RL (Second Life / Real Life).
La communication se fait par « chat » (dialogue direct) avec toutes les personnes se trouvant dans un rayon de 20 m autour de vous, et par IM (« Instant Message », l’équivalent d’un SMS) pour vos « amis » quel que soit le lieu où ils se trouvent.
Le modèle économique diffère radicalement du Web largement financé par la publicité et qui jouit d’une grande indépendance. SL appartient à une société (Linden Lab) qui vend les terrains (pour une durée déterminée) et des abonnements payants. Il y a peu de publicité (quelques grandes enseignes de l’habillement sont présentes) mais ce monde est totalement sous la dépendance d’un intérêt particulier. Il se rapproche en cela davantage du modèle économique du Minitel qui appartenait à France Telecom via sa filiale Transpac.
Rencontre avec Ana, professeure à l’école des Beaux Arts de Madrid, et qui m’explique qu’elle est en train ... d’écrire un article sur SL !
Le choix d’un lieu détermine souvent le type de personne qu’on y rencontre. J’ai croisé Ana sur « Campus Island », une des principales régions dédiées à l’éducation.
Une autre activité très répandue dans SL est la recherche d’emploi. Des « jobs » sont disponibles, principalement pour les filles (discrimination ?) comme danseuse ou hôtesse d’accueil dans tous les lieux marchands, la notion d’accueil allant du simple « bonjour » à la prostitution virtuelle. Les règles éthiques générales sont fixées par Linden Lab. Tout habitant peut, à tout moment déposer plainte (« report abuse ») contre un autre habitant. LL peut « avertir » un habitant voire le « bannir » totalement. Des employés de Linden Lab parcourent en permanence SL, ils sont identifiables par leur nom de famille : « Linden ».
Besoin d’une « escort girl » pour la soirée ?
Dans SL, il n’y a que l’embarras du choix. Mais comme sur le Web, on peut aussi choisir de ne pas fréquenter les lieux « pour adulte ». Un filtrage est d’ailleurs disponible pour toutes les fonctions de recherches (lieux, événements).
SL est un monde en construction, avec ses règles sociales, son langage spécifique (lexique http://forums.jeuxonline.info/showthread.php?t=686294) et même sa divinité, l’hippopotame, officiellement célébrée le 15 février.
Pour se repérer, on dispose de différentes cartes : des « mini cartes » qui indiquent à tout moment combien de personnes sont présentes dans notre environnement immédiat et où elles se situent exactement, et des cartes de l’ensemble du monde de SL à toutes les échelles souhaitables.
Un extrait de la carte du monde de SL à la plus petite échelle. Chaque point rose représente un événement en cours.
Un petit côté « Pangée originelle ».
Un premier colloque sur les usages pédagogiques de SL s’est déroulé à San Francisco en août dernier, les thèmes abordés ont été :
- Musées et vulgarisation scientifique
- Education des jeunes
- Mondes virtuels, écoles réelles
- Le professeur virtuel
http://www.elearnmag.org/subpage.cfm?section=articles&article=46-1
A défaut de pouvoir se payer ou se construire un bâtiment, on peut louer des locaux éducatifs pour un temps limité, comme dans ce « Study Space » dans lequel on trouvera des salles de réunion avec outils de présentation Power Point ou d’échange de documents, des visionneuses vidéo et la possibilité d’échanger directement par canal audio.
Dans un article du 22 mars dernier, plusieurs spécialistes américains des TICE ont listé les enjeux de ces nouveaux territoires. Bond en avant pour l’éducation ou phénomène de mode ?
Les auteurs identifient cinq enjeux en terme de « ressenti » des utilisateurs :
- Le sens de soi-même
- La mort de la distance
- Le pouvoir de la présence, la conscience de l’espace et la production coopérative
- la prééminence de la pratique
- l’enrichissement par l’expérience
http://www.elearnmag.org/subpage.cfm?section=articles&article=44-1
Devant le planning des cours proposés sur SL par cette université pour le mois d’avril.
A l’intérieur de l’université, j’assiste à un cours d’arts plastiques.
Le professeur (en noir au centre de la salle) enseigne aux étudiants comment fabriquer un objet 3D (une sorte d’oeuf multicolore)
Contrairement au Web que nous connaissons, la potentialité éducative de l’outil réside donc, non pas dans la création et la mise à disposition de bases documentaires, mais dans la communication en direct et la modélisation 3D. Tout est à imaginer : un débat d’ECJS sur une plage, un lycée reconstitué avec des journées « portes ouvertes » et un accueil personnalisé, des cours, du soutien scolaire, des échanges linguistiques, des jeux de rôle historiques, etc.
Nous en sommes là où nous en étions quand, au début des années 90, nous nous demandions ce qu’on allait pouvoir faire avec Internet concernant l’éducation, et ce que l’outil pouvait apporter de plus par rapport au Minitel.
Daniel DALET / RL
Sldaniel Cortes / SL
04/05/2007
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En pratique :
- L’inscription en ligne et le téléchargement du logiciel se font sur le site de Linden Lab : http://secondlife.com/
- Prévoir une machine récente (512 Mo de RAM minimum), une liaison Internet haut débit et une bonne carte graphique.
- Une fois le logiciel installé, penser à franciser l’interface (Edit / Preferences / General )
- Le logiciel étant encore en plein développement et le nombre d’abonnés en croissance continue, les serveurs de Linden Lab ont parfois du mal à suivre et les « plantages » ne sont pas rares.
- Comme tout débutant, vous découvrirez les règles du jeu ...en jouant. Le principe est simple : ne pas hésiter à solliciter l’aide des passants qui sont tous plus ou moins dans la même situation que vous. En quelques jours d’exploration, je n’ai jamais essuyé de refus pour toutes les aides que j’ai sollicitées.
- Comme dans tout lieu « mondialisé », la langue usuelle est l’anglais, mais les lieux francophones sont de plus en plus nombreux.
- Pour votre première sortie, je vous conseille de vous rendre sur Gaia, 148, 64, 26. Il s'agit d'une région francophone dédiée à l'accueil et à l'information des nouveaux habitants de SL.